Si l’on devait identifier un endroit sur la planète qui ressemble le plus à l’image qu’on se fait du paradis, Bali aurait sûrement une bonne partie des suffrages. Petite île perdue au milieu des milliers d’îles indonésiennes, elle canalise d’ailleurs la plupart des touristes du pays. Surf, plage et clubs d’un côté, spas, yoga et cuisine bio végétarienne de l’autre, Bali regorge de ressources.

Mais la vie est faite d’ombre et de lumière, de yin et de yang. L’envers du décor n’est donc pas très beau à voir. Ce mercredi 10 octobre se déroulait la Journée Mondiale de la Santé Mentale de l’OMS. Et en Indonésie, à Bali, ils ont quelques progrès à faire de ce côté-là.

C’est un reportage sur TV5 Monde qui m’a interpelée. Le Dr Suryani, psychiatre, est filmée en tournée dans les villages, pour prendre en charge les malades mentaux de l’île, qui n’ont pas de structure pour les accueillir. La population a donc trouvé une solution, efficace, s’il en est: les malades restent dans la maison de leur famille, mais y sont enchaînés, à l’écart, dans la cour. La chaîne aux pieds. Les boulets des familles. Au XXIème siècle.

Une femme explique à l’écran que la famille n’a plus assez d’argent pour emmener son frère à l’hôpital et que sinon, il est trop agressif, pour les voisins. Il y aurait environ 250 malades enchaînés dans des arrière-cours à Bali. Des « pasung », mot indonésien qui désigne le pilori sur lequel on exposait jadis les condamnés au public. (Libé). Cette coutume, le « pasungan« , est interdite en Indonésie, mais elle subsiste par manque de moyens.

Ketut, schyzophrène, « enchaîné depuis des années »
TV5 Monde

Le Dr Suryani a donc fondé un institut de psychiatrie en 2005 à Denpasar, la « capitale » de Bali, devant le vide complet de la prise en charge des malades psychiatriques dans l’île. Il y aurait 9000 malades nécessitant des soins en structure pour seulement 700 lits à Bali. Elle fait donc le psychiatre itinérant, comme le montre le documentaire de Julien Félix, Sébastien Mesquida et Yann le Gléau (What’s up Productions) diffusé en 2010 sur Arte et le reportage de TV5 Monde de ce mercredi.

Enchaîné
AFP

Pas assez de structures, pas assez d’argent pour les médicaments (malgré le Jamkesmas), pas assez de psychiatres, pas assez d’écoute et de soutien pour ces malades et leurs familles.

Le Dr Suryani semble avoir de bons résultats, d’après le reportage, avec les patients qu’elle prend en charge. Arrêt des médicaments, patients libérés de leurs chaînes…Mais son projet apparaît malgré tout contestable. Dans la Gazette de Bali en 2010, l’auteur de cet article nous explique comment elle attribue l’augmentation des maladies psychiatriques, notamment les dépressions, à l’envahissement des mosquées et des églises…Extraits:

« Depuis l’explosion du tourisme dans les années 90, qui a apporté drogue et alcool, les jeunes Balinais souffrent de nombreux troubles mentaux. »

« Dans certains quartiers de Denpasar, il y a maintenant plus de “pendatang” que de Balinais. Regardez tous ces “kaki lima”, ces réseaux de prostituées venues de Java, tout ça est organisé sciemment » (« pendatang » = immigrés)

« Toutes ces églises et ces mosquées qui se construisent partout sont aussi à l’origine du malaise. Les Balinais sont trop passifs, ils ne protestent pas et souffrent en silence »,

Rappelons que Bali est une « enclave » hindouiste au milieu du pays musulman comportant le plus de pratiquants au monde. Et un énorme aimant pour les populations pauvres de Java, Lombok, Flores et du Timor, qui veulent, elles aussi avoir un petit bout du gâteau bio de Bali. Une situation pas toujours facile à gérer pour les différentes communautés;  pourtant la devise de l’Indonésie, c’est: « Bhinneka Tunggal Ika« , « Unité dans la diversité ».

Et c’est bien dommage que ça ne soit pas si vrai en pratique; les discours politiques identitaires du Dr Suryani ont entraîné l’arrêt des subventions gouvernementales:

Le gouvernement provincial de Bali avait accordé près de 400.000 euros en 2009 au Dr Suryani, qui se finançait jusqu’alors sur ses propres deniers, mais la subvention publique a été annulée, à la suite de critiques de la profession sur les méthodes jugées peu orthodoxes de la psychiatre. (Libé)

Une seule psychiatre sur toute l’île a un projet et une démarche intéressante, et il faut qu’elle gâche tout avec des dérives extrémistes…Quel dommage.

Dr Suryani et une de ses patientes
TV5 Monde

En attendant, les malades ont besoin d’aide, les famille aussi, pour changer les esprits et montrer que c’est possible autrement, en respectant les droits les plus fondamentaux de l’homme.

Le gouvernement indonésien a l’air d’en être conscient. Mais le directeur de la santé mentale au ministère de la Santé, le Dr Diah Setia Utami est honnête:

« Nous nous étions fixés pour objectif de libérer l’ensemble des pasung d’ici à 2014 mais nous l’avons révisé à 2020. Il y a un gros travail de prise de conscience à faire, afin de changer cette culture et de libérer les malades ». (Libé)

C’est pas gagné.

 

 

Pour voir le documentaire sur Arte, suivez ce lien:

Bali: les enchaînés.

 

Les coordonnées de l’institut du Dr Suryani:

Suryani Institute for Mental Health

Jl. Gandapura No.30 Denpasar Bali – Indonesia

Tél. 361 46 75 53

www.suryani-institute.com

suryani@suryani-institute.com